Les copies physiques des jeux vidéo ont-elles encore leur place?

On m’a récemment demandé s’il y avait encore des avantages à acheter les copies physiques de jeux vidéo sur consoles plutôt que de les acheter en-ligne pour les télécharger. Ma réponse a donné le prototype de ce billet que j’ai bonifié avant de vous le partager!

À mon avis, il n’y a presque plus de bonnes raisons d’acheter une copie physique d’un jeu sur les plateformes modernes. Ce changement découle certainement de l’évolution des technologies mais je crois que le changement dans les pratiques de développement en est pour beaucoup.

Extrait de ma collection de jeunesse, photo courtoisie de ma propre mère qui en est la conservatrice!

Un peu d’histoire

Avant de continuer, remettons nous un peu en contexte. En fait, retournons jusqu’à l’époque de la Playstation 2 et de la XBOX originale, nous sommes alors à l’aube des années 2000 et assistons à la naissance des consoles sixième génération. À cette époque, même si l’Internet était en pleine croissance et que ces consoles commençaient à offrir du jeu en ligne, la bande-passante des consommateurs ainsi que les limites de données Internet rendaient la distribution de contenu par Internet irréaliste. Télécharger des quantités importantes de contenu était alors hors de question ce qui limitait grandement le genre de modifications que pouvaient réaliser les développeurs après la sortie du jeu.

Le moment où le jeu était imprimé sur les CDs était donc très important. Dans l’industrie, on appelle ça imprimer notre Gold et ça indiquait la fin du travail sur le projet. Par la suite, c’était la responsabilité de l’éditeur d’assurer les efforts logistiques de l’impression, l’empaquetage et la livraison des copies une fois que le jeu était certifié Gold. Ce processus était long et il pouvait s’écouler jusqu’à trois mois entre la fin du développement et l’arrivée des copies sur les tablettes des détaillants.

Trois mois, c’est très long en développement de jeux. Surtout vers la fin où l’équipe est à son plus fort et où chaque jour supplémentaire de plusieurs centaines de personnes fait toute la différence sur la qualité finale. Les développeurs auraient bien voulu profiter de ce temps et ce n’est que bien plus tard que leur souhait fut exaucé. En effet, il fallut attendre jusqu’au milieu des années 2010, à l’aube des consoles huitième génération (PS4, Xbox One, etc.).

Grâce à ces consoles modernes, à l’augmentation des espaces de stockage et à la démocratisation de l’Internet haute-vitesse, il était désormais possible de télécharger des quantités massives de contenu supplémentaires pour les jeux. Ce contenu pouvait être entièrement nouveau ou, plus souvent, être des correctifs (id. des patchs) apportés au jeu pour en améliorer l’expérience. Non seulement cela, mais les compagnies propriétaires des consoles (Sony, Microsoft, Nintendo, etc.) assouplissaient leurs exigeances quant à la qualité du jeu imprimé sur les disques s’ils avaient confiance que les dévelopeurs auraient le temps de rectifier le tir avec des correctifs.

C’était un changement de paradigme important. À présent, la certificatin Gold ne voulait pratiquement plus rien dire. Les développeurs pouvaient continuer à travailler sur le jeu même après que celui-ci soit imprimé sur un disque puisqu’il suffisait de sortir une patch de correctifs en même temps que le jeu sur les tablettes. On appelle ce phénomène les day-zero patchs. En appliquant cette stratégie, les développeurs gagnaient plusieurs mois de développement supplémentaires qui se révélèrent parfois nécessaires pour atteindre l’ambition toujours grandissante de leurs jeux. Avec le temps, les day-zero patchs étaient si fréquentes qu’elles sont devenues synonymes des grosses sorties.

Si cette astuce est bénéfique pour les développeurs, elle se fait au détriment des joueurs qui se retrouvent à devoir télécharger ces correctifs au moment où ils insèrent le disque du jeu dans leur console. Si le jeu était dans un état particulièrement piteux au moment de l’impression de son CD, la patch en sera d’autant plus grande. J’ai moi-même travaillé sur un jeu de grande envergure qui était si mal en point qu’il n’y avait presque rien sur le CD: seulement les instructions pour télécharger la day-zero patch qui était en fait le jeu dans son entièreté.

L’avantage du dématérialisé

Comparons à présent l’expérience pour un joueur qui achète en-ligne. Celui-ci n’aura pas besoin de se déplacer en magasin, n’aura pas à conserver un disque à l’intérieur de sa console ni à l’entreposer chez lui. De plus, il n’aura pas de Day-zero patch puisque la version du jeu qu’il téléchargera sera déjà la dernière et non celle imprimée sur un disque plusieurs mois auparavent. Cette dématérialisation protège aussi l’utilisateur des bris matériels: un disque perdu ou un bris de console ne l’empêchera pas de retélécharger un jeu de sa librairie.

Le passage complet de nos librairies nous rend d’autant plus dépendant aux services webs des compagnies. Après tout, qu’est-ce qui nous garantie que les serveurs hôte de notre bibliothèque Steam, sur PC, restera en-ligne jusqu’à la fin des temps? La question n’est pas si farfelue puisque Sony annonçait en Avril 2021 qu’ils fermaient leurs points de vente virtuels pour leurs consoles plus vielles. Cette décision rendait inaccessible 138 jeux qui n’avaient pas accompagné leur sortie d’une copie physique. Devant le vent de protestation des consommateurs, Sony a reculé sur cette décision. Toutefois, comme on l’a vu plus tôt, les copies physiques des jeux modernes sont souvent si inopérationnelles que pour y jouer il faudrait quand même se connecter aux serveurs pour télécharger ces fameuses day-zero patches ce qui revient au même problème.

Et les collectioneurs, eux?

Si les collectionneurs regretteront la dématérialisation de leur librairie, il suffit de regarder les boitiers actuels pour se consoler. En effet, les boîtiers modernes sont devenus si minimalistes qu’ils ne m’apparaissent que de peu d’intérêt. Ce changement, largement attribuable aux éditeurs qui ont tout fait pour économiser en coût de production, a diminué les boitiers jusqu’à leur forme la plus élémentaire. Si le déballage d’un jeu pouvait autrefois nous permettre de s’émerveiller devant de jolis manuels d’instructions, des posters ou d’autres curiosités, difficiles aujourd’hui d’être ému par un seul CD qui, comme on l’a vu, ne permet pas toujours à lui seul de jouer à ce que l’on vient d’acheter.

Les collectionneurs ne seront toutefois pas en reste. Les éditeurs d’aujourd’hui redoublent d’ingéniosité pour les attirer avec leurs fameuses versions « pour collectionneurs » qui coûtent souvent plusieurs centaines de dollars, viennent avec des figurines, cartes, modèles à coller et plus encore. L’ironie fera que, prenez-garde, certaines de ces versions n’incluent même pas la copie du jeu lui-même!

La version « pour collectionneurs » de Borderlands 3 sur lequel j’ai travaillé… Notez que le jeu n’y figure pas!

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