« Ouin mais c’est ça que le directeur a demandé! »
Voici les paroles d’un concepteur excédé, tentant maladroitement de mettre fin à une discussion. À bout d’arguments, il se retranche dans l’appel à l’autorité: « c’est pas mon call, c’est lui de mon lead », « ouin je suis d’accord que c’est pas terrible mais c’est ça que le directeur veut! » et « arrange toi avec mon lead si t’aime pas ça! » sont toutes des variations sur le même thème.
Bien que ce genre d’interventions n’est jamais vraiment utile, on doit se demander pourquoi quelqu’un va jusque-là, voici quelques pistes:
Raison #1: brief mal maitrisé
C’est à mon avis la raison la plus fréquente. Le concepteur n’est pas complètement en phase avec le brief créatif qui lui est demandé et peine à expliquer ses décisions. Face à ses propres hésitations et à ses collègues demandant des précisions, le concepteur, fatigué, finit par laisser tomber: « Ah, mais c’est ça que le directeur veut ».
Plutôt que d’invoquer une directive incompréhensible, le concepteur devrait mettre un frein à la discussion et reconnaître qu’il y a un manque de clarté dans ce qu’il propose. Ce sera ensuite sa responsabilité d’aller valider auprès de son lead et de son directeur.
Raison #2: désaccord avec le brief

Le concepteur n’est pas d’accord avec le brief créatif et tente de s’en dissocier pour garder sa crédibilité intacte auprès de ses pairs. Devant l’incompréhension, il blâme la direction: « Ah, ils savent pas ce qu’ils veulent, c’est vrai que c’est weird mais bon, on doit faire comme ils demandent! ».
Peut-être que la direction manque effectivement de clarté, que le brief est contradictoire ou même que l’idée n’est franchement pas si intéressante que ça. Cela dit, continuer à travailler sur cette « mauvaise idée » et blâmer la direction tout au long de son développement est bien pire. L’équipe accumulera une frustration injustifiée et le lien de confiance envers le leadership s’étiolera avec le temps.
Raison #3: faire passer son idée
Bon, j’en ai connu des concepteurs qui mettaient des mots dans la bouche des directeurs et les utilisaient ensuite comme massue pour imposer leurs idées. Ce qui complique l’histoire, c’est qu’ils invoquent toujours les raisons précédentes pour justifier leur comportement: « Ah mais c’est parce que je pensais que c’est ce que le directeur avait dit! C’est moi qui a mal compris! ». Comment être certain qu’on fait face à un tel manipulateur?
Solution: une culture d’équipe qui ne tolère pas l’appel à l’autorité
Je crois qu’une stratégie toute simple permet d’aider. Il s’agit de communiquer clairement la règle qu’il ne faut pas invoquer le nom de ses supérieurs pour justifier des idées qui ne passent pas auprès du reste de l’équipe.
Si vous êtes un concepteur et que vous sentez l’envie de le faire, prenez une pause et demandez-vous quel est le vrai problème auquel vous faites face: un brief mal compris, un brief auquel vous ne croyez pas ou autre chose?
À l’inverse, si quelqu’un vous fait le coup et invoque son lead pour justifier ses actions, allez valider à la source en incluant le principal intéressé dans la discussion.
Pour les leads et directeurs…
Ne tolérez pas que votre nom soit utilisé comme arme pour imposer des choses à des membres de l’équipe. Rendez-vous plutôt disponibles et soyez prêts à clarifier vos directives lorsque l’équipe se sent dans l’impasse. N’acceptez pas que quelqu’un fasse quelque chose « parce que vous l’avez dit », sans que cette personne ne comprenne vos intentions. Soyez pédagogues, n’ayez pas peur de répéter.
Ça ralenti le processus mais ça bâtit de meilleures équipes.
Notes supplémentaires
- L’appel à l’autorité n’est pas une stratégie exclusive au design. Tout le monde peut parfois être tenté. Ce n’est pas plus acceptable quand ça vient de la production, du art, etc.
- Je suis conscient que ma solution n’est pas à la portée de tous. Après tout, je parle d’implanter une culture d’équipe… Si vous êtes un nouveau venu dans une équipe et que votre lead ou votre directeur sont eux-mêmes déjà toxiques… difficile d’y faire quoique ce soit. J’ai déjà travaillé dans un studio où on faisait passer tout et n’importe quoi sur le dos du directeur, maintenant je sais que ce n’est pas acceptable. Être capable de reconnaître ces dynamiques demeure positif.