Toxic Design: ta job c’est de rendre ça beau

« Toi, ta job, c’est de rendre ça beau »

Voici les paroles d’un concepteur qui vient de conclure une présentation mal ficelée et qui doit répondre aux questions des artistes qui travailleront sur le contenu présenté. Désemparé, le concepteur tente maladroitement de conclure: « c’est vous les artistes, à vous de trouver comment rendre ça beau! ».

Qu’est-ce que tu veux dire, tu comprends pas mon level?

Le jeu vidéo est un médium complexe. Il fait intervenir une multitude d’expertises et de perspectives différentes qui se combinent pour faire émerger une expérience de jeu. Et c’est justement de cette expérience dont le concepteur doit se soucier. Lorsqu’il présente un concept, il ne donc peut pas se limiter qu’à ses aspects fonctionnels. En effet, même si les rouages d’un système de règles, l’équilibrage des ennemis ou les défis de navigation d’un niveau sont tous des éléments importants, ils demeurent néanmoins communiqués aux joueurs à-travers des codes visuels et sonores qu’on ne peut ignorer.

Par exemple, si on propose au joueur d’infiltrer une usine, ce dernier s’attendra à une certaine ambiance, une architecture et des défis qui viendront soutenir la fantaisie qu’il s’apprête à vivre. Le concepteur doit donc s’informer sur les codes et symboles qui peuvent lui être utiles pour faire émerger cette expérience dans l’esprit du joueur.

Revenons maintenant au reste de l’équipe, si le concepteur propose une structure de niveau qui n’invoque pas suffisamment l’idée d’une usine, les artistes de niveaux ne seront pas confiants qu’ils pourront, justement, « rendre ça beau ». Devant ces doutes, le concepteur doit comprendre qu’il n’a pas achevé son travail.

Tout ça revient à un principe fondamental du design: l’adéquation entre la forme et la fonction. On ne peut se prétendre concepteur si on ne s’attarde qu’à un seul de ces deux aspects.

Notes

Bien que j’ai pris l’exemple du Level design, j’ai entendu ce genre de réflexion dans toutes les disciplines de la conception. Un concepteur de personnage qui planifie les attaques de son personnage dans un jeu d’action, par exemple, devra s’intéresser à de prêt à l’animation et s’assurer que ses intentions sont réalisables!

Toxic Design: l’appel à l’autorité

« Ouin mais c’est ça que le directeur a demandé! »

Voici les paroles d’un concepteur excédé, tentant maladroitement de mettre fin à une discussion. À bout d’arguments, il se retranche dans l’appel à l’autorité: « c’est pas mon call, c’est lui de mon lead », « ouin je suis d’accord que c’est pas terrible mais c’est ça que le directeur veut! » et « arrange toi avec mon lead si t’aime pas ça! » sont toutes des variations sur le même thème.

Bien que ce genre d’interventions n’est jamais vraiment utile, on doit se demander pourquoi quelqu’un va jusque-là, voici quelques pistes:

Raison #1: brief mal maitrisé

C’est à mon avis la raison la plus fréquente. Le concepteur n’est pas complètement en phase avec le brief créatif qui lui est demandé et peine à expliquer ses décisions. Face à ses propres hésitations et à ses collègues demandant des précisions, le concepteur, fatigué, finit par laisser tomber: « Ah, mais c’est ça que le directeur veut ».

Plutôt que d’invoquer une directive incompréhensible, le concepteur devrait mettre un frein à la discussion et reconnaître qu’il y a un manque de clarté dans ce qu’il propose. Ce sera ensuite sa responsabilité d’aller valider auprès de son lead et de son directeur.

Raison #2: désaccord avec le brief

Le concepteur n’est pas d’accord avec le brief créatif et tente de s’en dissocier pour garder sa crédibilité intacte auprès de ses pairs. Devant l’incompréhension, il blâme la direction: « Ah, ils savent pas ce qu’ils veulent, c’est vrai que c’est weird mais bon, on doit faire comme ils demandent! ».

Peut-être que la direction manque effectivement de clarté, que le brief est contradictoire ou même que l’idée n’est franchement pas si intéressante que ça. Cela dit, continuer à travailler sur cette « mauvaise idée » et blâmer la direction tout au long de son développement est bien pire. L’équipe accumulera une frustration injustifiée et le lien de confiance envers le leadership s’étiolera avec le temps.

Raison #3: faire passer son idée

Bon, j’en ai connu des concepteurs qui mettaient des mots dans la bouche des directeurs et les utilisaient ensuite comme massue pour imposer leurs idées. Ce qui complique l’histoire, c’est qu’ils invoquent toujours les raisons précédentes pour justifier leur comportement: « Ah mais c’est parce que je pensais que c’est ce que le directeur avait dit! C’est moi qui a mal compris! ». Comment être certain qu’on fait face à un tel manipulateur?

Solution: une culture d’équipe qui ne tolère pas l’appel à l’autorité

Je crois qu’une stratégie toute simple permet d’aider. Il s’agit de communiquer clairement la règle qu’il ne faut pas invoquer le nom de ses supérieurs pour justifier des idées qui ne passent pas auprès du reste de l’équipe.

Si vous êtes un concepteur et que vous sentez l’envie de le faire, prenez une pause et demandez-vous quel est le vrai problème auquel vous faites face: un brief mal compris, un brief auquel vous ne croyez pas ou autre chose?

À l’inverse, si quelqu’un vous fait le coup et invoque son lead pour justifier ses actions, allez valider à la source en incluant le principal intéressé dans la discussion.

Pour les leads et directeurs…

Ne tolérez pas que votre nom soit utilisé comme arme pour imposer des choses à des membres de l’équipe. Rendez-vous plutôt disponibles et soyez prêts à clarifier vos directives lorsque l’équipe se sent dans l’impasse. N’acceptez pas que quelqu’un fasse quelque chose « parce que vous l’avez dit », sans que cette personne ne comprenne vos intentions. Soyez pédagogues, n’ayez pas peur de répéter.

Ça ralenti le processus mais ça bâtit de meilleures équipes.

Notes supplémentaires

  • L’appel à l’autorité n’est pas une stratégie exclusive au design. Tout le monde peut parfois être tenté. Ce n’est pas plus acceptable quand ça vient de la production, du art, etc.
  • Je suis conscient que ma solution n’est pas à la portée de tous. Après tout, je parle d’implanter une culture d’équipe… Si vous êtes un nouveau venu dans une équipe et que votre lead ou votre directeur sont eux-mêmes déjà toxiques… difficile d’y faire quoique ce soit. J’ai déjà travaillé dans un studio où on faisait passer tout et n’importe quoi sur le dos du directeur, maintenant je sais que ce n’est pas acceptable. Être capable de reconnaître ces dynamiques demeure positif.

Toxic Design: l’appel à la documentation

« Ouais mais ça fait longtemps que c’est dans Confluence! »

C’est le cri du cœur d’un concepteur frustré qui vient d’échouer dans son rôle de communicateur. Ce genre de réflexion émerge souvent lorsqu’un collègue exprime de la surprise quant à une charge de travail inattendue et qu’il lui demande des explications. Le concepteur toxique, immédiatement sur la défensive, affirmera donc: « c’était dans la documentation, y’aurait fallu que tu la lises. », « c’est pas mon problème si les gens de l’équipe ne lisent pas notre doc! » ou n’importe quelle autre variation sur le même thème. Le pire, c’est que dans certains cas, le concepteur toxique en tirera une certaine satisfaction, comme s’il venait de démontrer que ses collègues manquaient de sérieux. Pourtant, il vient de s’aliéner les personnes qui ont le pouvoir de matérialiser ses ambitions…

Soyons clair, la documentation n’est pas un outil de communication. Elle est, au mieux, un outil de référence et d’organisation de l’information. Notre documentation est souvent technique, exhaustive, et utilise un jargon opaque aux non-initiés. Espérer que l’ensemble d’une équipe multidisciplinaire mette sur pause ses activités et vienne se taper la lecture d’une documentation changeante et souvent peu maintenue à jours relève de la fantaisie. Alors que faire?

Prenons un exemple. Si vous avez terminé la conception d’un système de jeu qui demande des animations, des effets visuels et de nouvelles interfaces utilisateurs, il est de votre devoir d’informer proactivement les membres de l’équipe qui auront à les réaliser. Pour y arriver, chaque studio se dote de processus mais ces derniers ne sont jamais infaillibles et, en cas de doute, prendre le temps d’en discuter de vive voix demeure la meilleure option.

Se rabattre sur un « tu aurais dû lire la doc! » est contre-productif et toxique. Non seulement vous ne répondez pas aux inquiétudes de votre collègue mais, pis encore, vous lui dites indirectement qu’il ne peut pas vous faire confiance et que vous allez continuer à enfouir des informations qui lui sont importantes dans vos documents. Ce bris de confiance est souvent le début d’un glissement dans les relations de travail qui peut générer en situation conflictuelle. Pas super.

Dans notre industrie, la communication, la vulgarisation et l’explication des systèmes de jeu que l’on conçoit font partie des talents nécessaires à développer pour devenir un meilleur concepteur. Armez-vous de patience et de bonne volonté car si un collègue n’arrive pas à comprendre vos intentions, apprenez plutôt à remettre en question vos stratégies de communication.