Réflexions sur le balancing

L’équilibrage des jeux compétitifs est un sujet polarisant. Les développeurs comme les joueurs déchirent leur chemise sur Internet pour démontrer que tel personnage ou telle mécanique est brisé, que telle stratégie doit être nerfée, que ce jeu-là est mal balancé, etc. Si la communauté a accès à des statistiques, certains de leurs membres les disséqueront pour faire valoir leurs arguments. Le débat semble donc quitter l’espace des opinions pour tomber dans les « faits ». On s’embourbe davantage et on perd de vue la question fondamentale: après tout, qu’est-ce qu’un jeu bien équilibré?

Tout au long de cet article, je ferai référence à « l’équilibrage », au « balancing » ou aux « réglages » de façon interchangeable. Ces expressions font toute référence à la même chose, c’est à dire l’exercice de finition réalisé par les développeurs afin de régler au quart de tour les systèmes de leur jeu. Il s’agit par exemple d’augmenter la vie de tel ennemi, de diminuer les dégâts de telle arme, de changer le prix de tel item ou le temps de recharge d’une habilité de personnage. Ce sont donc les nombreuses décisions mineures dont la somme fait émerger une expérience unique. De nos jours, les développeurs sérieux se livrent à de l’équilibrage en continu, observant comment les joueurs interagissent, sollicitant leur feedback et réagissant avec des ajustements rapides à déployer.

C’est un sujet qui me tient à cœur et je trouve qu’il est souvent malmené, autant chez les joueurs que les développeurs mêmes. Je veux partager quelques réflexions et ainsi, peut-être, aider des concepteurs à mieux maîtriser le sujet.

Réflexion #1: un jeu équilibré n’est pas forcément amusant

Rappelons-nous l’essentiel: un jeu équilibré n’est pas forcément amusant. Par exemple, bien que Roche-papier-ciseaux soit parfaitement équilibré, on ne pourrait conclure qu’il soit parfaitement amusant. On pourrait donc croire que l’équilibrage n’est pas une condition suffisante mais bien plutôt une condition nécessaire à l’émergence d’un système amusant mais même cette affirmation est suspecte.

Marvel vs. Capcom 2

Il n’y a pas de jeu qui exemplifie mieux cette ambiguïté que Marvel vs. Capcom 2. Ce jeu de combat culte est légendaire grâce à deux choses contradictoires: d’une part, sa scène compétitive passionnée et de l’autre, sont système de jeu complètement déséquilibré. Seule une infime partie de son très vaste éventail de personnages est viable compétitivement et pourtant, peu importe à quel point le jeu est brisé et débalancé, il est également adoré. Ses fans raffolent de son rythme frénétique, de la profondeur des interactions possibles et du grand degré d’expressivité que ses systèmes leur permettent. On pourrait dire que Marvel vs. Capcom 2 est tellement brisé et tellement mal balancé que, d’une étrange manière, ils ont bouclé la boucle et que le jeu est redevenu bien balancé! Est-ce un phénomène de « So Bad it’s Good »? Pas forcément, l’exemple illustre tout simplement que si un jeu est amusant, les joueurs vont s’approprier son système de règles même s’il est déséquilibré.

Super Smash Brothers Melee est un autre exemple du même phénomène: plutôt que se plaindre du système de mouvements complètement brisé, les joueurs l’ont maîtrisé et firent émerger des techniques avancées et un jargon opaque – désormais, le « Wave Dashing » fait partie intégrale des platform fighters modernes malgré que cette technique fût entièrement accidentelle.

Super Street Fighter 4

Nemesis 2 au Foonzo, photo d’archives 😛 Y faisait chaud!

Pour compléter, j’ai un contre-exemple intéressant avec Super Street Fighter 4 qui prend tout son sens lors d’un tournoi à Montréal auquel je participais. C’était une belle époque: les jeux de combat étaient en pleine renaissance, SSF4 était considéré comme un excellent jeu bien balancé et nous voilà rassemblés à Montréal dans le sous-sol bondé du Foonzo. C’est la grande finale, Dieminion vs. JS Master, USA vs. Canada, l’ambiance est électrique lorsque leur match est annoncé: Guile vs. Guile. Pas juste un match miroir, mais un match miroir extrêmement défensif. Chaque round se rend jusqu’au timeout. Les joueurs nous offrent une performance incroyable mais, peu à peu, l’excitation s’éteint… Une succession de matchs défensifs, hermétiques… Ce n’est finalement pas si intéressant à regarder. La grande finale se conclue donc avec des joueurs et des spectateurs exténués. Super Street Fighter 4 avait beau être « bien balancé »: en permettant aux joueurs même les plus défensifs de connaître autant de succès que les joueurs agressifs, la réalité est que le jeu défensif n’est tout simplement pas si amusant que ça. Pas étonnant que les jeux de combat modernes favorisent désormais l’offensive, cela offre une expérience plus dynamique et amusante. Avec SSF4, nous avons donc un exemple d’un exercice d’équilibrage « bien réalisé » qui a finalement nuit au plaisir.

Ce qui est important à retenir de ces deux exemples est ceci: l’équilibrage doit être subordonné au plaisir, pas l’inverse.

Réflexion #2: un jeu s’équilibre pour supporter une vision créative

Quand vient le temps de régler nos valeurs de système, il faut le faire pour qu’émerge l’expérience que l’on désire. Ce principe semble évident mais sous-entend quelque chose d’important: il y a quelque chose de subjectif et de créatif dans l’équilibrage. Comment juger si telle attaque, telle stratégie ou tel ennemi sont trop forts ou faibles? Aucun outil d’analyse ne peut, hors contexte, conclure qu’un équilibrage est réussi – il faudra toujours revenir à l’intention originale.

Je me souviens encore, il y a de ça plus de douze ans, je travaillais chez Sarbakan et le studio était épris d’un engouement pour DOTA2. On y jouait tous les midis et on discutait abondamment de la balance du jeu. Je me souviens particulièrement bien d’un collègue qui râlait très fort comme quoi le jeu était complètement pêté et débalancé – jusqu’à arrêter d’y jouer, enragé. Quand on en discutait, l’exemple qu’il reprenait était le personnage de Windrunner, une archère. Elle pouvait décocher un tir puissant traversant plus d’une longueur d’écran. Il était donc possible de se faire toucher par sa flèche sans même voir d’où elle provenait. Pouvoir être touché par des attaques lancées par des personnages hors de son champ de vue était, selon lui, l’exemple qui prouvait que le jeu était débalancé et injouable.

DÉGOUTANT

J’étais intrigué par sa perspective car je ne la partageais pas. Ma rétorque était que l’attaque pouvait être anticipée, qu’elle s’ajoutait sur notre charge mentale lorsqu’on affronte Windrunner mais qu’elle demeure difficile à utiliser adéquatement. En fait, le joueur de Windrunner devait, lui aussi, faire preuve d’un bon sens du jeu pour réussir à toucher à l’aveugle un adversaire si loin de son personnage. Cette attaque est polarisante. D’une part, la victime se sent lésée et de l’autre, l’attaquant peut jubiler quand il réussit un tir miraculeux.

Cette situation cachait une vision créative que partageait les créateurs de DOTA. Une approche power-fantasy first, où le sentiment de puissance et de gratification de celui qui réalise un bon coup est supérieur à la frustration ou au désespoir de ceux qui le subisse. Si on s’attarde aux autres personnages du jeu, on constate que leurs habilités ont presque toutes ce biais implicite.

Pour en revenir à mon collègue frustré. Son erreur était de blâmer l’équilibrage du jeu comme s’il s’agissait d’un défaut de fabrication. Il était donc présomptueux en prétendant que les créateurs n’avaient pas vraiment réalisé le jeu qu’ils avaient en tête. En insistant sur le balancing du jeu, il s’est ainsi privé d’en comprendre les rouages et de devenir un meilleur joueur. Dans cette perspective égocentrique, il a fantasmé un DOTA2 « mieux balancé » dans lequel il gagnerait assurément. Il a ainsi continué à jouer en étant éternellement frustré – à notre grand dam car nous étions ses coéquipiers.

Il propageait ainsi son discours sans vraiment comprendre l’intérêt du jeu tel qu’il était. À en juger ce qui se disait à l’époque online, il n’était pas seul non plus. On arrive donc à une intersection intéressante du débat. À quel moment peut-on simplement arrêter de discuter du balancing et admettre qu’un jeu n’est simplement pas fait pour nous? Que la vision créative réalisée par les développeurs ne nous rejoint pas? À quel moment peut-on arrêter de parler des intentions des développeurs et invoquer la mort de l’auteur pour faire triompher son propre jugement? Je ne crois pas pouvoir répondre à ces questions aujourd’hui mais je peux sans doute mieux expliquer mon point: faisons preuve d’une plus grande prudence et d’une certaine humilité quand vient le temps de parler de balancing. Commençons par rester ouverts à ce qui nous est présenté avant de tenter d’imposer notre jugement.

Réflexion #3 – L’équilibrage ne passe pas par des chiffres équilibrés

Puisque le problème du balancing est un exercice de nombres et d’analyse, on pourrait naïvement croire qu’il peut être objectivement résolu. Je me souviens d’un petit projet chez Sarbakan qui était essentiellement un jeu mobile où les joueurs concevaient des robots de combat. Une fois construits, les joueurs lançaient leurs robots les uns contre les autres et assistaient à des combats automatisés.

L’équipe avait développé un outil très puissant qui permettait de simuler des milliers de matchs entre des robots aléatoirement construits et obtenir des résultats quant aux robots les plus performants. Leur objectif était d’utiliser la force statistique pour valider leur équilibrage, une très bonne initiative. Malheureusement, cet accès à du big-data est devenu un leurre. Les concepteurs se sont mis à la recherche du « balancing parfait » et voulaient s’assurer que chaque robot ait une chance de gagner dans leurs tournois virtuels. Ils ont complètement rééquilibré leurs systèmes pour que chaque participant ait un taux de victoire se rapprochant de 50%. Cette approche les réconfortait: ils avaient un but objectivement mesurable! En effet, si chaque robot gagnait et perdait 50% du temps, c’est que le système était objectivement bien balancé, non?

Cette quête d’équilibre mena à de grands bouleversements. Par exemple, le système d’énergie fut entièrement repensé. Les robots avaient tous une réserve d’énergie limitée. Cette énergie servait à installer des pièces aux pouvoirs variés. C’était aux joueurs à prendre des décisions quant à leur sélection de pièces. Un joueur inattentif pouvait se retrouver avec des points d’énergie inutilisé. Leur robot était donc sous-optimal et perdait plus souvent que les autres. Jugeant cela mal balancé, les concepteurs imaginèrent une nouvelle règle: chaque point d’énergie inutilisé augmenterait les performances du robot. Ainsi, un robot équipé d’une seule arme pouvait rivaliser avec un autre disposant d’un véritable arsenal. En plus d’être contre-intuitive, cette nouvelle règle nécessitait une refonte des interfaces qui devenaient de plus en plus compliquées.

Quand on s’attarde à l’expérience des joueurs, il est évident que c’était une mauvaise idée mais, rappelez-vous, l’équipe utilisait un outil abstrait pour guider leurs choix. L’expérience du jeu en souffrait donc beaucoup. Les concepteurs avaient mis tant d’énergie à atteindre leur objectif du 50/50% qu’ils avaient négligé le concept de base du jeu: la création et l’optimisation de robots de combat. C’était rendu qu’un robot à qui on n’avait même pas donné d’armes réussissait à vaincre ses rivaux graciés du meilleur équipement. Pis encore, le modèle d’affaire tournant autour du pay-to-win et les « pièces premium« , achetées avec du véritable argent, n’étaient pas plus efficaces que toutes les autres. Dans leur recherche « d’équilibre des chiffres », les concepteurs avaient donc ruiné l’expérience qui était devenue incompréhensible.

L’anecdote ainsi résumée peut paraître absurde mais elle témoigne de notre propension à vouloir uniformiser, symétriser et ordonner des valeurs. Il est facile de vouloir se réfugier dans quelque chose « d’objectif » plutôt que de réfléchir rigoureusement à l’expérience réelle qui émerge de notre travail d’équilibrage.

Dans notre travail, il arrive souvent que l’on travaille dans des tableurs. Cette vue est utile pour modifier rapidement une multitude de chiffres mais il faut éviter de tomber dans le piège du « designer excel »: de jolis chiffres dans un tableau ne mènent pas nécessairement à une expérience amusante pour le joueur.

Whew!

Voilà qui est tout pour aujourd’hui. Je m’étais pris beaucoup plus de notes mais je crois que l’article est déjà assez long comme ça. Y’aura une prise #2!

Tuto Fighting Games: le buffering

Jeux applicablesStreet Fighter pris en référence mais s’applique à presque tout les jeux de combat 2D.
Niveau de techniqueIntermédiaire à avancé

Rien de plus frustrant que de combattre un adversaire au jeu hermétique, entièrement maintenu au sol et basé sur le contrôle de l’espace avec des longs pokes rapides. Ryu est un personnage emblématique de ce genre de stratégie avec son excellent crouching medium kick. Cette attaque est tellement bonne que vous aller assurément rencontrer des joueurs qui en abusent, en maneuvrant au sol pour que l’attaque touche toujours au maximu de son allonge, la rendant extrêmement difficile à punir. Pourtant, cette stratégie n’est pas sans danger. Il existe des techniques pour la vaincre et nous allons en explorer une, le buffering utilisé à mi-distance. Cette technique est également intéressante pour surprendre des joueurs de personnages aux pokes très longs tels que Dhalsim. Cela dit, bien que tout les personnages peuvent utiliser le buffering, seuls certains d’entres eux peuvent la rendre efficace.

La base

La technique consiste à lancer une attaque normale suivie immédiatement par la motion d’une attaque spéciale, d’un super, ou de toute autre technique qui peut se canceller à partir de cette attaque. Si l’attaque normale fend l’air, le spécial ne sortira pas. Mais si l’attaque touche l’adversaire, le spécial sortira très rapidement. Le buffering enlève donc le besoin de hit-confirm.

La vidéo suivante illustre la technique. Remarquez comment le joueur de Ryu utilise son coup de pied léger immédiatement suivi par la motion du super. Lorsque le coup de pied fend l’air, le super ne sort pas mais dès que Chun-Li s’avance et se fait toucher, le super est automatiquement lancé.

Les détails

Cela dit, pour être efficace, la technique doit être employée dans les paramètres suivants:

  • L’attaque normale employée est rapide, contrôle bien l’espace et est très difficile à whiff-punish.
    • Le standing light kick de plusieurs personnages (Ryu, Ken, Zangief, etc.) est généralement un bon candidat.
  • L’attaque spéciale mise en buffer derrière est rapide et possède une bonne allonge (ex: un projectile).
  • L’attaque normale doit être lancée juste à l’extérieur de son allonge maximale pour qu’elle fende l’air si l’adversaire ne fait rien.

L’objectif est donc que l’attaque normale fende l’air SAUF si l’adversaire:

  • Lance une attaque normale plus lente, qui sera contrée par la vôtre.
  • L’adversaire décide de s’avancer, croisant la hitbox de votre attaque.

Dans ces deux cas, l’adversaire sera touché par l’attaque normale et par l’attaque spéciale mise en buffer.

Anatomie de l’attaque idéale

LE PRÉSIDENT DU MONDE!!!

G est un personnage redoutable en neutral grâce à son Standing Light kick lui permettant d’appliquer la technique du buffering en neutral de façon très efficace.

  • L’attaque est rapide (démarre en 5 frames).
  • Elle reste active plus longtemps (3 frames) que la moyenne des attaques légères.
  • Elle touche très près du sol, permettant de vaincre les autres pokes au sol (tels que le maudit cr.mk de Ryu!)
  • Elle se cancel en Ex G Smash Over, une attaque spéciale extrêmement rapide qui mène à d’énormes dégâts.
  • Pour toutes ces raisons, cette attaque est une menace en neutral.

Voici le tout mis en oeuvre et le genre de dégâts que ça donne:

Exemple d’application en match

La vidéo suivante est un célèbre exemple où Daigo Umehara utilise le crouching heavy punch de Ryu avec son super en buffer pour punir le pauvre Dhalsim d’Arturo Sanchez qui abusait de l’excellent standing heavy punch de son personnage.

Je me souviens encore d’avoir vue ça LIVE à l’époque et d’être aussi impresionné que les commentateurs!

Rétrospective: Street Fighter 4

DéveloppeurDimps, Capcom
Date de sortieMars 2009 (Amérique du Nord)
Date jouéMars 2009
NoteS-Tier!!!

Bon, l’intention de cet article n’était pas d’être aussi auto-biographique! Mais au fond, c’est difficile pour moi de faire autrement lorsqu’il est temps de parler de Street Fighter 4. Ce n’est donc pas ici que vous trouverez une décortication minutieuse des systèmes du jeu. Attendez-vous plutôt plutôt à un récit personnel racontant comment ce titre aura marqué un jeune développeur de l’industrie du jeu vidéo de Québec, vous voilà donc avertis!

En 2008, Capcom annonçait l’arrivée imminente d’une suite très attendue de leur franchise phare, Street Fighter. Pour l’occasion, la compagnie réservait au public nord-américain un trailer cinématographique:

Note: impossible de retrouver la version originale qui n’était pas sur Youtube à l’époque!

Leur machine marketing s’est alors déchaînée: la même année sortait Street Fighter 2 HD Remix, une énième réédition de ce titre révolutionnaire sorti en 1992. Cette fois-ci, on nous promettait des graphismes haute-résolution et un rééquilibrage complet des personnages. La stratégie de Capcom était transparente: ranimer l’intérêt du public pour la franchise et préparer le terrain à l’arrivée du 4 l’année suivante.

Et la stratégie fonctionna à merveilles avec moi! J’ai téléchargé SF2 HD Remix le jour même de sa sortie. Je me disais qu’il était bien temps pour moi d’apprendre à jouer « pour vrai » et d’ainsi me préparer pour Street Fighter 4. C’était pas rien, j’avais l’impression de participer à quelque chose d’historique: la renaissance même du genre des jeux de combat. En effet, ce style de jeu quasi-éteint n’était plus qu’un reliquat du passé.

Mais à ce moment là, je ne savais pas à quel point Street Fighter 4 allait changer les choses. Non, j’essayais juste tant bien que mal de réussir un Spinning Piledriver avec Zangief.

Le 7e étage de Beenox

Remettons-nous d’abord en contexte. À l’orée de la sortie de Street Fighter 4, je travaillais chez Beenox, filière d’Activision qui avait alors le vent en poupe. Forte de Monsters vs. Aliens et James Bond Quantum of Solace, l’entreprise démarrait le développement de Spider-man: Shattered Dimensions. L’ambiance du studio était euphorique car non seulement le nouveau projet s’annonçait excitant mais nous nous apprêtions à déménager dans de nouveaux locaux sur boulevard Charest. Dans cette construction neuve, le septième étage était en grande partie réservée aux activités sociales et c’est justement à cet endroit que ma passion pour Street Fighter prit racines.

Je sors les vielles photos de mes archives! Tout un stunt publicitaire pour notre déménagement, la une du journal de Québec!

Ce qu’il faut savoir, c’est qu’il était devenu tradition de se rassembler les vendredis soirs, bière à la main, devant l’écran géant du septième pour jouer à Street Fighter 4. Chaque semaine, la baston attirait plusieurs dizaines de nouveaux joueurs, tous enclins à se mesurer les uns aux autres. Au fil du temps, plusieurs joueurs, dont moi-même, devinrent des habitués de ces rendez-vous hebdomadaires qui prenaient des allures de mini-évènements. C’est lors de ces joutes que nous voulions prouver nos acquis: quels nouveaux combos pouvions-nous réaliser? Quels nouveaux pièges à tendre à nos adversaires? Et même quels nouveaux personnages avions-nous décidé de maîtriser? C’était à une époque où les ressources d’apprentissage en ligne étaient presque inexistantes alors la meilleure manière d’apprendre était de se présenter les vendredis soirs et voir ce que les autres apportaient de nouveau. Ces rassemblements attiraient aussi des spectateurs! Les curieux se déplaçaient pour voir qui était le meilleur joueur du moment et ce titre changeait d’une semaine à l’autre. C’était une véritable course à l’armement où tous s’entraînaient secrètement les soirs de semaine pour maîtriser de nouvelles techniques et espérer au vendredi prochain devenir le nouveau joueur à battre. C’était une compétition enivrante où se mélangeait rivalités, égos et collégialité.

Rapidement, toutes les excuses étaient bonnes pour jouer au travail. Les pauses café devenaient des moments pour faire quelques parties et l’heure du midi se dédiait aux matchs amicaux. Bref, peu importe où vous vous trouviez chez Beenox à ce moment, quelqu’un jouait à Street Fighter pour devenir le meilleur.

La suite logique de cette frénésie compétitive était l’organisation d’un tournoi à l’interne. Tâche à laquelle je m’étais attelé avec entrain. C’était avec fierté que j’accueillais tout les compétiteurs dans la grande cafétéria pour leur faire connaître les périls d’un tournoi à double-élimination! L’ambiance électrique de la soirée a fait naître en moi une passion pour l’organisation de tournois qui a mené à des dizaines d’autres évènements. Bien que la majorité était bien humblement organisée chez moi, plusieurs de nos plus grands tournois prirent d’assaut les lieux publics avec des dizaines de participants et encore plus de spectateurs. Par ailleurs, le personnel du bar de gaming LvlOP était si enchanté par nos évènements qu’il composait une petite carte de cocktails thématisée autour de nos joueurs et de leurs rivalités.

Malgré tout, mes meilleurs moments continuent d’être ces tournois où nous étions entassés chez nous à hurler encouragements et invectives à ceux assez braves pour s’affronter! L’ambiance ludique faisait de ces évènements un prétexte pour se rassembler, boire et discuter jusqu’aux petites heures du matin, bien après la fin des hostilités.

Tournoi organisé au feu LvlOP, le rez-de-chaussée du bar était entièrement dédié à nos évènements!

La fin de l’innocence!

Street Fighter 4 était le fer de lance d’une petite révolution dans l’univers du jeu compétitif. La plupart des nouveaux venus étaient de jeunes adultes qui avaient connu les jeux de combat sur leur Super NES. Pour plusieurs, ce genre était un retour aux sources mais notre regard d’adulte permettait désormais d’en apprécier les subtilités. Enfin pouvait-on espérer dépasser le niveau de celui qui pitonnait sur n’importe quel bouton – celui du button masher.

Mais si Street Fighter 4 était un phénomène international, son impact se faisait toutefois ressentir à l’échelle locale. En effet, les tournois internationaux étaient rares et peu médiatisés. Les quelques streams en direct étaient généralement undergrounds et diffusés sur justin.tv, l’ancêtre de twitch. On ne savait donc pas encore à quoi ressemblait du « bon » Street Fighter. Cette candeur libératrice permettait de jouer sans complexe. Être le meilleur de ses amis était suffisant et l’effort demandé pour y arriver était raisonnable.

Ce contexte particulier est révolu. La démocratisation de l’internet haute-vitesse et les bonds technologiques permettant une bonne expérience de jeu en ligne ont mené à l’émergence de véritables circuits compétitifs internationaux. Les connaissances entourant les jeux de combat ont quant à elles explosé grâce aux impressionnants efforts d’analyse des communautés qui se rassemblaient pour échanger leurs découvertes. Si l’étude du frame-data était de nature quasi-alchimique à l’époque de Street Fighter 4, ces connaissances sont désormais d’ordre banal pour tout amateurs modernes. Cette effervescence a permis de supporter la professionnalisation du secteur avec les meilleurs joueurs remportant des sponsorships auprès d’organisations E-Sports. Nous suivions l’évolution de nos joueurs préférés (Momochi, Latif, PR Balrog et 801 Strider étaient mes préférés) et nous nous rassemblions pour écouter les gros tournois. Regarder du jeu de combat professionnel devenait aussi palpitant que d’y jouer. À côté du talent prodigieux exhibé par ces joueurs, nos exploits locaux faisaient désormais bien pâle figure.

C’est donc peut-être pourquoi de nos jours, lorsque je parle d’organiser des évènements ou des petites ligues amicales, les gens hésitent. Ils ont peur d’avoir l’air médiocre, de ne pas « jouer comme il faut » ou, à l’inverse, ils deviennent obsédés par leur performance et finissent par oublier la joie exaltante et un peu bête que les jeux de combat peuvent nous procurer. S’il y a une nostalgie évidente dans mes propos, ce n’est pas pour revenir en arrière, bien au contraire. Notre hobby est plus vivant et solide que jamais! C’est bien plutôt pour mettre en relief le caractère unique du contexte de Street Fighter 4 et d’être reconnaissant d’en avoir fait partie.

Le Japon

Mon Ken qui fait des ravages à Street Fighter 5, en direct de la mythique arcade Japonaise Anata no Warehouse

J’ai eu la chance d’aller deux fois au Japon. Lors de ces voyages, si je me suis comporté comme tout bon touriste en visitant ses temples, ses quartiers branchés, étranges et geeks, j’ai aussi pu trainer de nombreuses heures dans ses arcades. Lors de mes visites, Street Fighter 4 était une relique du passé. Il n’y avait plus de cabinet qui lui était dédié. Le jeu était relégué à d’étranges machines désuètes qui donnaient accès à une douzaine d’autres jeux. Cela ne m’a pas empêché de m’y installer et de démarrer une partie. Ces vieux cabinets n’étaient pas combinés à Internet alors il fallait qu’une personne vienne obligatoirement s’assoir en face pour qu’un duel prenne place… et c’est arrivé!

Mais ce n’était pas l’expérience transcendantale à laquelle je m’attendais. Les joueurs qui m’ont défié n’étaient pas de calibre face à mon Abel et abandonnèrent dès leur première défaite. J’étais quand même surpris à quel point mes vieux réflexes étaient encore présents. Comme quoi quand on passe des dizaines d’heures à travailler des combos spécifiques en mode pratique, il ne faut pas beaucoup de temps pour qu’ils nous reviennent! Alors voilà, je n’ai pu affronté que peu de joueurs qui pensaient sans doute pouvoir profiter d’une victoire facile contre ce blanc perdu dans une arcade dont les tapis empestent le vieux tabac. J’ai appris plus tard que si je voulais me frotter aux meilleurs, il fallait se rendre à certaines arcades spécialisées.

Mais bon, Street Fighter 5 était désormais disponible en arcades et leurs cabinets plus modernes permettaient de jouer par Internet en attendant qu’un challenger se pointe en personne. Croyez moi, j’y ai joué longtemps – probablement même jusqu’à la déraison! Difficile d’expliquer le plaisir de ces endroits surréels où règne un chaos de bruits et lumières qui engourdissent les sens. Et pourtant, mes sessions de Street Fighter aux arcades demeurent d’excellents souvenirs!

Ah! Et j’ai ramené des souliers de Street Fighter du Japon. C’est pas rien.

Conclusion

Je pourrais m’éterniser sur une foules d’autres anedoctes ou aspects du jeu mais aujourd’hui j’avais le goût d’être un peu plus personnel. Avec la sortie de Street Fighter 6 qui approche à grands pas (plus que quelques semaines!), c’est normal de regarder dans le passé pour espérer que le futur puisse être aussi généreux!

Dans tous les cas, je ferai partie de cette prochaine évolution de la franchise et je trouverai bien le tour d’organiser encore des tournois dans ce monde post-pandémique!

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Même mon chien se met à Street Fighter c’est pas peu dire.