Il faut créer un deck de 40 cartes à partir de 48 (4 boosters). Il n’y a donc pas beaucoup de « choix » à faire une fois le draft complété car c’est généralement assez évident quelles sont les huit cartes à éliminer du paquet.
Il n’y a pas de limite de couleur en Booster Draft, la stratégie dominante en Draft consiste donc à toujours privilégier les meilleures cartes. Les decks résultants manquent aussi d’uniformité thématique.
Le Card Draw semble extrêmement puissant et nécessaire à sélectionner s’il se présente à nous.
Homebrew Gagnante
Réduction de la taille du deck de 40 à 30
Limite de trois couleurs par deck
La version finale consiste en deux ajustements ultra-simples qui permettent néanmoins de régler pas mal les deux premiers problèmes. La restriction de couleur ajoute un peu de personalité aux decks et la limite de carte abaissée force les joueurs à faire des choix plus réfléchis dans sa construction.
Autres variantes intéressantes
Pour toutes les variantes ci-dessous, la règle du deck à 30 est appliquée.
2+Steel: limite de deux couleurs mais permet toujours l’ajout de cartes steel. Les Steels étant thématiquement plus « vanille » (un peu comme les colorless de Pokémon TCG), leur usage passe-partout comme troisième couleur imposée ne limite pas trop le deck-building.
2-Color-Flex: vous pouvez mettre autant de couleurs que vous voulez dans votre paquet, mais il ne peut avoir que deux couleurs à la fois en jeu. Si vous avez une troisième couleur dans votre main, vous pouvez l’utiliser comme ink OU comme card cycle (défausser la carte puis en piger une autre).
La variante 2-Color-Flex était intéressante car elle diminuait un peu la puissance relative des effets de pige. Toutefois, devoir garder en tête le nombre de couleurs en jeu s’est révélé être trop complexe pour le gain perçu en équilibrage.
Lorcana demeure un jeu vraiment joli et facile d’approche. Ces règles maison me permettent de continuer d’apprécier le jeu dans le format TCG que je préfère. J’espère que certains d’entres vous les apprécierez aussi!
L’équilibrage des jeux compétitifs est un sujet polarisant. Les développeurs comme les joueurs déchirent leur chemise sur Internet pour démontrer que tel personnage ou telle mécanique est brisé, que telle stratégie doit être nerfée, que ce jeu-là est mal balancé, etc. Si la communauté a accès à des statistiques, certains de leurs membres les disséqueront pour faire valoir leurs arguments. Le débat semble donc quitter l’espace des opinions pour tomber dans les « faits ». On s’embourbe davantage et on perd de vue la question fondamentale: après tout, qu’est-ce qu’un jeu bien équilibré?
Tout au long de cet article, je ferai référence à « l’équilibrage », au « balancing » ou aux « réglages » de façon interchangeable. Ces expressions font toute référence à la même chose, c’est à dire l’exercice de finition réalisé par les développeurs afin de régler au quart de tour les systèmes de leur jeu. Il s’agit par exemple d’augmenter la vie de tel ennemi, de diminuer les dégâts de telle arme, de changer le prix de tel item ou le temps de recharge d’une habilité de personnage. Ce sont donc les nombreuses décisions mineures dont la somme fait émerger une expérience unique. De nos jours, les développeurs sérieux se livrent à de l’équilibrage en continu, observant comment les joueurs interagissent, sollicitant leur feedback et réagissant avec des ajustements rapides à déployer.
C’est un sujet qui me tient à cœur et je trouve qu’il est souvent malmené, autant chez les joueurs que les développeurs mêmes. Je veux partager quelques réflexions et ainsi, peut-être, aider des concepteurs à mieux maîtriser le sujet.
Réflexion #1: un jeu équilibré n’est pas forcément amusant
Rappelons-nous l’essentiel: un jeu équilibré n’est pas forcément amusant. Par exemple, bien que Roche-papier-ciseaux soit parfaitement équilibré, on ne pourrait conclure qu’il soit parfaitement amusant. On pourrait donc croire que l’équilibrage n’est pas une condition suffisante mais bien plutôt une condition nécessaire à l’émergence d’un système amusant mais même cette affirmation est suspecte.
Marvel vs. Capcom 2
Il n’y a pas de jeu qui exemplifie mieux cette ambiguïté que Marvel vs. Capcom 2. Ce jeu de combat culte est légendaire grâce à deux choses contradictoires: d’une part, sa scène compétitive passionnée et de l’autre, sont système de jeu complètement déséquilibré. Seule une infime partie de son très vaste éventail de personnages est viable compétitivement et pourtant, peu importe à quel point le jeu est brisé et débalancé, il est également adoré. Ses fans raffolent de son rythme frénétique, de la profondeur des interactions possibles et du grand degré d’expressivité que ses systèmes leur permettent. On pourrait dire que Marvel vs. Capcom 2 est tellement brisé et tellement mal balancé que, d’une étrange manière, ils ont bouclé la boucle et que le jeu est redevenu bien balancé! Est-ce un phénomène de « So Bad it’s Good »? Pas forcément, l’exemple illustre tout simplement que si un jeu est amusant, les joueurs vont s’approprier son système de règles même s’il est déséquilibré.
Super Smash Brothers Melee est un autre exemple du même phénomène: plutôt que se plaindre du système de mouvements complètement brisé, les joueurs l’ont maîtrisé et firent émerger des techniques avancées et un jargon opaque – désormais, le « Wave Dashing » fait partie intégrale des platform fighters modernes malgré que cette technique fût entièrement accidentelle.
Super Street Fighter 4
Nemesis 2 au Foonzo, photo d’archives 😛 Y faisait chaud!
Pour compléter, j’ai un contre-exemple intéressant avec Super Street Fighter 4 qui prend tout son sens lors d’un tournoi à Montréal auquel je participais. C’était une belle époque: les jeux de combat étaient en pleine renaissance, SSF4 était considéré comme un excellent jeu bien balancé et nous voilà rassemblés à Montréal dans le sous-sol bondé du Foonzo. C’est la grande finale, Dieminion vs. JS Master, USA vs. Canada, l’ambiance est électrique lorsque leur match est annoncé: Guile vs. Guile. Pas juste un match miroir, mais un match miroir extrêmement défensif. Chaque round se rend jusqu’au timeout. Les joueurs nous offrent une performance incroyable mais, peu à peu, l’excitation s’éteint… Une succession de matchs défensifs, hermétiques… Ce n’est finalement pas si intéressant à regarder. La grande finale se conclue donc avec des joueurs et des spectateurs exténués. Super Street Fighter 4 avait beau être « bien balancé »: en permettant aux joueurs même les plus défensifs de connaître autant de succès que les joueurs agressifs, la réalité est que le jeu défensif n’est tout simplement pas si amusant que ça. Pas étonnant que les jeux de combat modernes favorisent désormais l’offensive, cela offre une expérience plus dynamique et amusante. Avec SSF4, nous avons donc un exemple d’un exercice d’équilibrage « bien réalisé » qui a finalement nuit au plaisir.
Ce qui est important à retenir de ces deux exemples est ceci: l’équilibrage doit être subordonné au plaisir, pas l’inverse.
Réflexion #2: un jeu s’équilibre pour supporter une vision créative
Quand vient le temps de régler nos valeurs de système, il faut le faire pour qu’émerge l’expérience que l’on désire. Ce principe semble évident mais sous-entend quelque chose d’important: il y a quelque chose de subjectif et de créatif dans l’équilibrage. Comment juger si telle attaque, telle stratégie ou tel ennemi sont trop forts ou faibles? Aucun outil d’analyse ne peut, hors contexte, conclure qu’un équilibrage est réussi – il faudra toujours revenir à l’intention originale.
Je me souviens encore, il y a de ça plus de douze ans, je travaillais chez Sarbakan et le studio était épris d’un engouement pour DOTA2. On y jouait tous les midis et on discutait abondamment de la balance du jeu. Je me souviens particulièrement bien d’un collègue qui râlait très fort comme quoi le jeu était complètement pêté et débalancé – jusqu’à arrêter d’y jouer, enragé. Quand on en discutait, l’exemple qu’il reprenait était le personnage de Windrunner, une archère. Elle pouvait décocher un tir puissant traversant plus d’une longueur d’écran. Il était donc possible de se faire toucher par sa flèche sans même voir d’où elle provenait. Pouvoir être touché par des attaques lancées par des personnages hors de son champ de vue était, selon lui, l’exemple qui prouvait que le jeu était débalancé et injouable.
DÉGOUTANT
J’étais intrigué par sa perspective car je ne la partageais pas. Ma rétorque était que l’attaque pouvait être anticipée, qu’elle s’ajoutait sur notre charge mentale lorsqu’on affronte Windrunner mais qu’elle demeure difficile à utiliser adéquatement. En fait, le joueur de Windrunner devait, lui aussi, faire preuve d’un bon sens du jeu pour réussir à toucher à l’aveugle un adversaire si loin de son personnage. Cette attaque est polarisante. D’une part, la victime se sent lésée et de l’autre, l’attaquant peut jubiler quand il réussit un tir miraculeux.
Cette situation cachait une vision créative que partageait les créateurs de DOTA. Une approche power-fantasy first, où le sentiment de puissance et de gratification de celui qui réalise un bon coup est supérieur à la frustration ou au désespoir de ceux qui le subisse. Si on s’attarde aux autres personnages du jeu, on constate que leurs habilités ont presque toutes ce biais implicite.
Pour en revenir à mon collègue frustré. Son erreur était de blâmer l’équilibrage du jeu comme s’il s’agissait d’un défaut de fabrication. Il était donc présomptueux en prétendant que les créateurs n’avaient pas vraiment réalisé le jeu qu’ils avaient en tête. En insistant sur le balancing du jeu, il s’est ainsi privé d’en comprendre les rouages et de devenir un meilleur joueur. Dans cette perspective égocentrique, il a fantasmé un DOTA2 « mieux balancé » dans lequel il gagnerait assurément. Il a ainsi continué à jouer en étant éternellement frustré – à notre grand dam car nous étions ses coéquipiers.
Il propageait ainsi son discours sans vraiment comprendre l’intérêt du jeu tel qu’il était. À en juger ce qui se disait à l’époque online, il n’était pas seul non plus. On arrive donc à une intersection intéressante du débat. À quel moment peut-on simplement arrêter de discuter du balancing et admettre qu’un jeu n’est simplement pas fait pour nous? Que la vision créative réalisée par les développeurs ne nous rejoint pas? À quel moment peut-on arrêter de parler des intentions des développeurs et invoquer la mort de l’auteur pour faire triompher son propre jugement? Je ne crois pas pouvoir répondre à ces questions aujourd’hui mais je peux sans doute mieux expliquer mon point: faisons preuve d’une plus grande prudence et d’une certaine humilité quand vient le temps de parler de balancing. Commençons par rester ouverts à ce qui nous est présenté avant de tenter d’imposer notre jugement.
Réflexion #3 – L’équilibrage ne passe pas par des chiffres équilibrés
Puisque le problème du balancing est un exercice de nombres et d’analyse, on pourrait naïvement croire qu’il peut être objectivement résolu. Je me souviens d’un petit projet chez Sarbakan qui était essentiellement un jeu mobile où les joueurs concevaient des robots de combat. Une fois construits, les joueurs lançaient leurs robots les uns contre les autres et assistaient à des combats automatisés.
L’équipe avait développé un outil très puissant qui permettait de simuler des milliers de matchs entre des robots aléatoirement construits et obtenir des résultats quant aux robots les plus performants. Leur objectif était d’utiliser la force statistique pour valider leur équilibrage, une très bonne initiative. Malheureusement, cet accès à du big-data est devenu un leurre. Les concepteurs se sont mis à la recherche du « balancing parfait » et voulaient s’assurer que chaque robot ait une chance de gagner dans leurs tournois virtuels. Ils ont complètement rééquilibré leurs systèmes pour que chaque participant ait un taux de victoire se rapprochant de 50%. Cette approche les réconfortait: ils avaient un but objectivement mesurable! En effet, si chaque robot gagnait et perdait 50% du temps, c’est que le système était objectivement bien balancé, non?
Cette quête d’équilibre mena à de grands bouleversements. Par exemple, le système d’énergie fut entièrement repensé. Les robots avaient tous une réserve d’énergie limitée. Cette énergie servait à installer des pièces aux pouvoirs variés. C’était aux joueurs à prendre des décisions quant à leur sélection de pièces. Un joueur inattentif pouvait se retrouver avec des points d’énergie inutilisé. Leur robot était donc sous-optimal et perdait plus souvent que les autres. Jugeant cela mal balancé, les concepteurs imaginèrent une nouvelle règle: chaque point d’énergie inutilisé augmenterait les performances du robot. Ainsi, un robot équipé d’une seule arme pouvait rivaliser avec un autre disposant d’un véritable arsenal. En plus d’être contre-intuitive, cette nouvelle règle nécessitait une refonte des interfaces qui devenaient de plus en plus compliquées.
Quand on s’attarde à l’expérience des joueurs, il est évident que c’était une mauvaise idée mais, rappelez-vous, l’équipe utilisait un outil abstrait pour guider leurs choix. L’expérience du jeu en souffrait donc beaucoup. Les concepteurs avaient mis tant d’énergie à atteindre leur objectif du 50/50% qu’ils avaient négligé le concept de base du jeu: la création et l’optimisation de robots de combat. C’était rendu qu’un robot à qui on n’avait même pas donné d’armes réussissait à vaincre ses rivaux graciés du meilleur équipement. Pis encore, le modèle d’affaire tournant autour du pay-to-win et les « pièces premium« , achetées avec du véritable argent, n’étaient pas plus efficaces que toutes les autres. Dans leur recherche « d’équilibre des chiffres », les concepteurs avaient donc ruiné l’expérience qui était devenue incompréhensible.
L’anecdote ainsi résumée peut paraître absurde mais elle témoigne de notre propension à vouloir uniformiser, symétriser et ordonner des valeurs. Il est facile de vouloir se réfugier dans quelque chose « d’objectif » plutôt que de réfléchir rigoureusement à l’expérience réelle qui émerge de notre travail d’équilibrage.
Dans notre travail, il arrive souvent que l’on travaille dans des tableurs. Cette vue est utile pour modifier rapidement une multitude de chiffres mais il faut éviter de tomber dans le piège du « designer excel »: de jolis chiffres dans un tableau ne mènent pas nécessairement à une expérience amusante pour le joueur.
Whew!
Voilà qui est tout pour aujourd’hui. Je m’étais pris beaucoup plus de notes mais je crois que l’article est déjà assez long comme ça. Y’aura une prise #2!
Je me souviens encore de ce moment où je discutais de ma semaine de travail avec un groupe d’amis. Nous étions décontractés et heureux de pouvoir partager un moment ensemble. Puis, une infirmière fit son entrée dans notre pièce, son air sévère fit taire nos vaines discussions. Nous comprenions que l’heure était grave et qu’il fallait la suivre immédiatement pour lui venir en aide. Nous sillonnâmes alors quelques étroits corridors en la suivant, tentant de suivre ses instructions alambiquées. Puis elle s’arrêta devant une grosse porte et se retourna vers nous. Nos airs médusés la poussèrent à se faire rassurante: « Y’a pas de stress, là! On va être avec vous pis si vous avez besoin d’aide vous aurez juste à demander! ». Sachant que le poids du monde moderne tel qu’on le connait pesait alors sur nos épaules, j’aurais préféré un speech motivationnel un peu plus inspirant mais j’allais devoir m’en contenter car elle ouvra la porte de bois et nous y invita à entrer avec urgence.
Une fois tous entrés, la porte se referma. Elle se ne réouvrira que soixante minutes plus tard. Livrés à nous-mêmes, nous scrutions les moindres détails de la pièce. Nous étions dans une sorte de laboratoire biomédical. Des livres et des notes laissées à la hâte étaient éparpillés, de l’équipement de laboratoire nous intimidait et il y avait même quelques écrans visiblement endommagés qui émettaient de la lumière bleue. Nous étions impressionnés mais aussi confus et puis soudain, on cogna violement dans une porte secondaire au fond de la pièce. On entendit une voix nous implorer à l’aide puis des hurlements d’horreur mélangés à des grognements de créatures. Nous étions sous le choc et pourtant c’était le temps de passer à l’acte. J’ai peu de souvenirs des soixante minutes suivantes mais je me souviens d’avoir utilisé un dictionnaire anglais-russe, d’avoir utilisé des verres polarisés pour lire des indices sur des écrans et d’avoir dû mettre les mains dans le cambouis en manipulant des morceaux humains factices.
C’était pour tout le monde du groupe notre première expérience d’une Escape Room. Dans cet univers, il y a souvent quelqu’un d’expérimenté qui sert d’initiateur mais pas dans notre cas. Inutile de dire que nous avons échoué l’énigme finale non sans beaucoup de pression, un peu de panique et finalement beaucoup de plaisir. J’ai depuis multiplié l’expérience avec différentes personnes et les Escape Rooms font partie de quelques de mes hobbies préférés. Si je visite une nouvelle ville, je tenterai à coup sûr de découvrir ce que leur scène locale peut offrir! Une excellente manière de tuer quelques heures lors d’un après-midi pluvieux.
Bon, si je vous raconte tout cela, c’est qu’aujourd’hui j’ai le goût de me lancer dans une analyse plus approfondie du sujet. J’ai envie de mettre ma lentille analytique de concepteur et de réfléchir à certains aspects du phénomène pour, je l’espère, arriver à de nouvelles perspectives. Ce texte sera forcément long puisque j’y me permettrai de geek out à loisir! Mais voilà un peu ce à quoi vous pouvez vous attendre: nous partirons d’une une petite histoire du jeu d’évasion pour ensuite le comparer à d’autres activités similaires pour aboutir sur un véritable cadre d’analyse (enfin, je l’espère). Ce cadre divisera le jeu d’évasion en trois composantes fondamentales. Puis, chaque élément sera passé à la loupe pour mieux comprendre son impact sur l’expérience. Au bout de l’exercice, j’espère produire une grille de critères bien argumentés pouvant être utile à la conception comme à la critique des jeux d’évasion!
Le programme est charnu et nous ne nous rendrons pas à sa fin aujourd’hui. Cet article se déclinera donc en plusieurs billets!
Petite histoire
L’ancêtre des jeux d’évasion grandeur nature, les jeux « Escape the Room » (en image, The Crimson Room)
À la lisière entre la chasse au trésor, le jeu d’énigme et le LARP (Live Action Roleplaying), les Escape Rooms occupent une place unique dans les expériences interactives. Introduites au Québec en 2013, on en dénombre plus de 200 dans la belle Province et près de 50,000 partout à-travers le monde. Ce hobby grandeur nature tire ses origines du jeux vidéo. À l’aube des années 2000, un nouveau genre de jeu « Escape the room » gagne en popularité sur Internet. Ces courtes expériences développées sur la plateforme Flash demandent aux joueurs de résoudre des énigme pour sortir d’une pièce et s’en évader. C’est le concepteur Japonais Takao Kato qui, inspiré par ces petits jeux, imagine d’en transposer l’expérience vers le grandeur nature. Il fonda l’entreprise SCRAP et inaugura en 2007 ce que plusieurs estiment être la première Escape Room. Par ailleurs, son entreprise existe toujours et a continué d’offrir de nouvelles expériences partout à-travers le monde tout au long de son existence.
Il est donc intéressant de constater comment les jeux vidéo et le grandeur nature sont à l’origine même des jeux d’évasion. Je dirais que de ces deux inspirations, ce sont les jeux vidéo qui en teintent le plus fortement l’expérience. En effet, les joueurs y ont un objectif clair, leur progression est parsemée d’embuches qu’ils doivent surmonter et il y a beaucoup d’emphase mise sur le résultat final: la douce victoire ou l’amer défaite!
Ces éléments distinguent tous les jeux d’évasion des grandeurs natures où les objectifs ne sont pas toujours aussi fermement établis, où il y a place à improvisation et où il existe une négociation implicite avec le maître de jeu et les autres joueurs qui peut changer le cours d’un scénario si cela résulte en une meilleure expérience. Attardons nous justement au grandeur nature pour mieux comprendre où se situe le jeu d’évasion dans cet univers.
Grandeur nature
Whoops, pas l’même genre de trip, mettons…
Comme on l’a vu, si les salles d’évasion tirent leur origine des jeux vidéo, elles n’ont toutefois trouvé leur identité qu’en se mariant avec le grandeur nature. Cette forme de jeux de rôle immersif demeure plutôt vaste et mérite que l’on s’y attarde. Je ne ferai qu’un bref survol de ses différentes forme: à son plus simple, le grandeur nature peut être des soirées meurtres et mystères. Cela dit, l’activité trouve son sens plus profond et mémorable dans ses formes les plus sophistiquées: de longues simulation militaires avec des armes Airsoft, des jeux de rôle costumés où règnent intrigues politiques et tromperies, des rassemblements guerriers de plusieurs centaines de personnes où l’on se bastonne avec des armes en mousse, des foires médiévales ou des reconstitutions historiques et plus encore. Si toutes ces activités ont quelque chose de similaires en ce qu’elles transportent les joueurs dans un autre univers, toutes ne demandent pas le même engagement.
Niveaux d’engagement
En effet, si une soirée de meurtre et mystère demande un minimum de costumes et de théâtralité, les grandeurs natures telles que le Duché de Bicolline demandent à ses joueurs d’incarner un personnage qui évoluera dans un univers où la riche trame narrative est construite collaborativement, les joueurs doivent être costumés de manière crédible et jouer un personnage qui évoluera au fil de ses aventures.
On reconnait alors un spectre d’engagement sur lequel se positionne différemment chaque type de grandeur nature. Cet engagement pourrait être compris sous trois axes:
Préparation: combien de temps et d’argent faut-il mettre avant de participer? Y a-t-il de l’équipement à se procurer, des règlements à apprendre ou un personnage à concevoir?
Persistance: l’expérience persiste-t-elle d’une session à l’autre? Les campagnes s’étendent elles sur des semaines, jours, mois, années?
Théâtralité: à quel point doit on incarner un personnage extérieur à nous même?
Voyons comment les activités évoquées précédemment se comparent sur ces trois axes.
Une analyse d’en serait pas une sans graphique, pas vrai?
Sur ce spectre, le jeu d’évasion se trouve définitivement au bas de l’échelle. L’activité ne requiert aucune préparation, n’est pas persistante ni théâtrale. En effet, on n’exige de ses joueurs que d’être présents et de participer. L’activité se boucle normalement en soixante minutes après quoi il ne reste plus qu’à prendre une bière pour célébrer. Finalement, côté théâtralité, on pourrait dire que les joueurs ne s’incarnent qu’eux-mêmes, seuls les animateurs, lorsqu’ils sont présents, doivent en faire preuve.
Les jeux d’évasion se révèlent donc comme une forme très accessibles de grandeur nature. Cette accessibilité doit être vue comme un atout et des organisateurs de grandeurs natures majeurs feraient bien de songer à proposer des expériences similaires pour attirer un public plus large dans leur univers. Dans une perspective plus large, je m’interroge pourquoi il n’y a pas plus d’évènements promotionnels qui intègrent des jeux d’évasion ni pourquoi ce genre d’expérience n’est pas traitée comme une avenue supplémentaire dans la démarche transmédias propriétaires d’IP tels que Disney, Nintendo, etc. Je m’imagine très bien une salle d’évasion éphémère sur le thème de Professeur Layton ajoutée au kiosque de Capcom au Tokyo Game Show! En la matière, je souligne l’initiative du groupe Défi Évasion qui a conçu en collaboration avec la microbrasserie La Souche une salle d’évasion thématisée.
CADRE THÉORIQUE
Comme j’adore les expressions pompeuses, il est grand temps d’élever le discours entourant le jeu d’évasion en proposant un véritable cadre théorique d’analyse, rien de moins! Mon espoir est qu’il permettra de comprendre ce qui fait la qualité d’une bonne salle d’évasion et d’en extraire les meilleures pratiques.
Le cadre se décline en trois plans d’analyse qui inspectent chacun un aspect fondamental de la salle d’évasion. Ces trois plans sont: les défis, l’espace et la mise en scène. Nous nous attarderons à chacun de ces plans pour lesquels je me livrerai à quelques réflexions pas toujours abouties ou structurées.
Les défis
Ce qu’on entend ici par défis est l’ensemble des épreuves auxquelles sont soumis les participants. Il s’agit probablement de ce qui nous vient intuitivement en tête lorsqu’on pense aux jeux d’évasion. Le nom du genre nous évoque par lui-même qu’il faudra s’évader de quelque part et il suffit de suivre ce thème pour être gagné par des images où l’on trouve des clefs, résout des énigmes et perce finalement le secret pour prendre la fuite.
Mais clarifions et organisons d’abord cette notion de défi. Je les ai d’abord rassemblés sous trois grandes catégories: physique, réflectif et social. Voyons quels genres de défis chacune comporte:
Défi physique
Observation: observer son environnement et en extraire des indices pour progresser. L’observation est le plus souvent visuelle mais peut faire appel aux autres sens: être à l’affût de sons, écouter les paroles d’une chanson, etc.
Fouille: une observation active où l’on cherche son environnement pour trouver des objets, des indices ou des outils pour progresser.
Manipulation: l’interaction avec les éléments du décors ou des objets, appuyer sur un bouton, tirer sur un levier, utiliser des outils ou manier une lampe de poche.
Déplacements: parcourir l’espace, monter une échelle, ramper au sol, escalader, etc.
Défi réflectif
Diégétique: faire des liens avec les informations disponibles dans l’environnement, solutionner des énigmes, comprendre des symboles.
Extradiégétique: tout ce qui fait appel aux connaissances, culture générale, mathématiques, langues étrangères, etc.
Défi social
Coordination: les joueurs doivent réaliser une action en même temps, ils doivent se taire pour entendre quelque chose, etc.
Communication: exprimer ses idées, ses observations, formuler des requêtes, indiquer une tâche complétée, etc.
Coopération: collaborer en même temps sur un problème, diviser les tâches, formuler un plan, etc.
Gestion émotionnelle: créer un climat de coopération sain, tempérer ses humeurs et celles des autres, etc.
Cette liste ne se veut pas exhaustive et je suis certain que les plus vifs d’esprit trouveront de nouveaux exemples à y ajouter. J’espère seulement qu’elle exprime suffisamment la diversité d’expériences à laquelle peuvent s’attendre les participants.
Et tant qu’à invoquer la diversité, parlons-en donc un peu.
Diversité des défis
S’il faut trouver un thème et une ligne directrice à nos défis, il faut aussi s’assurer de leur diversité. Lorsque plusieurs tâches se présentent devant des joueurs, celles-ci devraient être de nature suffisamment distinctes pour que chacun se les sépare intuitivement en fonction leurs intérêts. Le sentiment d’être la personne toute désignée pour réaliser un défi flatte l’égo et motive à l’action. Alors pourquoi ne pas s’assurer que ce sentiment grisant soit partagé en offrant des défis aussi diversifiés que possible?
La diversité dans la nature des défis prévient aussi l’impression de redondance. Dès lors que les joueurs arrivent à anticiper ce qui s’en vient, ils seront sortis du moment présent et auront l’impression d’avoir percé les intentions des concepteurs, brisant leur immersion. Je me souviens d’une salle d’évasion qui ne proposait qu’une série d’énigmes sur papier, l’une après l’autre. Les solutions d’une énigme ne permettait que d’accéder à la prochaine qui était de nature similaire. Cette structure linéaire (nous y reviendrons) et cette redondance dans la nature des défis ont eu pour effet de miner ma motivation et de me faire prendre conscience du jeu auquel j’étais soumis. Dans ces fâcheuses dispositions, difficile de revenir dans l’espace mental qui permet de jouir de l’immersion.
Structure des défis
Cette analyse ne s’est pour le moment bornée qu’aux défis individuels, chacun pris un à un. À présent, il faut élargir notre point de vue et les considérer ensembles, structurés. La manière dont les défis s’emboîtent et se succèdent joue un rôle déterminant dans l’expérience des joueurs alors il mérite que l’on s’y attarde.
Une structure linéaire signifie que des défis se succèdent l’un après l’autre, que chaque défi soit subordonné à l’autre puisque que la condition d’entrée de l’un soit la fin d’un autre. Plus concrètement, imaginons l’exemple d’un joueur solutionnant ne énigme mathématique pour découvrir la combinaison d’un cadenas. Ce cadenas une fois ouvert permet l’ouverture d’une boîte où se trouve des morceaux de papier déchirés. Une fois reconstitué, le papier dirige vers une autre énigme de la salle. Dans cette suite où chaque défi est subordonné à son prédécesseur, on reconnaît une structure linéaire.
Un certain niveau de linéarité est inévitable. Elle peut même être positive dans une certaine mesure puisqu’elle garde le joueur en action, lui permet de le guider facilement et qu’elle donne un bon sentiment de progression. Cela dit, ses bienfaits s’arrêtent là.
En effet, d’abord parce que la linéarité sous-entend qu’un seul défi est réalisable à la fois. Pourtant, les jeux d’évasion se jouent en équipe. Imaginons un instant l’exemple donné plus tôt mais en équipe. On imagine le groupe qui vient d’ouvrir le cadenas tenter de s’agglutiner pour essayer de voir les morceaux de papiers à reconstituer. Puis, si tout le monde y met de son grain de sel, on se retrouve avec trop de chefs dans la cuisine. Seuls certains joueurs manipuleront les morceaux de papier tandis que les autres seront recallés au rang de spectateurs qui ne feront que distraire les autres en intervenant: « met le à gauche! Non pas ce morceau-là, non je parlais à Guylain… »
Bref, dans le contexte d’une salle d’évasion où participent souvent jusqu’à six joueurs, travailler sur une seule énigme à la fois et ainsi progresser linéairement mènera nécessairement à des frictions. La structure linéaire empêche le groupe d’exprimer ses capacités de coordinations en se partageant des tâches qui avanceront dès lors parallèlement.
Même dans un contexte où il y a moins de joueurs, disons deux ou même un seul, pouvoir avancer sur plusieurs pistes à la fois donnent des options. Si un joueur se sent bloqué sur une énigme, il pourra prendre une pause tout en demeurant productif en travaillant sur un autre défi.
Finalement, la linéarité est également ennuyeuse puisqu’elle est forcément prévisible et redondante. On l’évitera donc à tout prix en concevant différentes pistes d’indices qui se diviseront, se croiseront et s’achèveront. S’il faut néanmoins prévoir quelques points de convergences où l’équipe se rassemblera, il faut s’assurer d’avoir une structure majoritairement non-linéaire pour toutes les raisons citées précédemment.
Défis sociaux
J’ai d’abord hésité d’ajouter les défis de nature sociale à cette liste. En effet, contrairement aux défis physiques et réflectifs qui sont conçus, les défis sociaux, eux, sont généralement induits. Puisque les jeux d’évasion sont réalisés en équipe et que leur membres sont mis sous pressions, la gestion de l’aspect humain en devient un élément intrinsèque. Cela dit, j’ai tenu à l’ajouter puisqu’un concepteur peut influencer directement et indirectement sur l’aspect social.
Influence indirecte
Nous pouvons imaginer une salle d’évasion se déroulant dans une discothèque où une musique tonitruante rendrait difficile les communications. Les joueurs devront crier ou se rapprocher les uns des autres pour se parler. L’environnement influence ici sur un canal de communication en le brouillant. Dans un autre ordre d’idée, songeons maintenant à une salle au thème d’horreur. Une telle salle serait remplie de scènes horribles, truffées de malicieux jump scares ou d’autres ténébreuses surprises, augmentant le stress et l’adrénaline de ses participants. Tout cela rendrait plus difficile la gestion émotionnelle et la communication et on comprend que l’on influencerait ici sur leur ressenti.
En somme, il s’agit ici de réfléchir aux manières dont la salle brouillent les canaux de communication ou manipulent les émotions de ses joueurs. Bien maitrisés, ces éléments parasites seront cohérents avec la thématique et contribueront au sentiment d’immersion. Ils augmenteront aussi forcément le niveau de difficulté.
Défi de coordination
Les défis directement sociaux sont ceux qui demandent de la coordination. De multiples exemples me viennent alors en tête: un défi qui demande à de multiples joueurs d’appuyer en même temps sur des boutons situés à différents endroits dans une pièce, un autre qui demande au groupe de réciter en chœur les paroles d’une incantation déchiffrée, un autre qui demande de former une chaîne humaine pour relier deux (faux) pôles électriques ou finalement avoir un joueur dans une autre pièce communiquant des instructions à suivre aux autres.
Il s’agit donc de défis qui requièrent explicitement la collaboration de plusieurs joueurs dans le temps et l’espace. Ce genre de défi est un outil puissant pour conclure une énigme puisque les joueurs en partageront le succès. La coordination est aussi au cœur de ce qui contribue au fameux Team Bonding recherché par les compagnies qui envoient des employés participer ensembles.
Pourtant, ces défis sont moins fréquents qu’on pourrait penser! Leur absence d’une salle d’évasion est pour moins une faute grave puisque c’est passer à côté d’un des éléments uniques que peut offrir cette activité de groupe.
Conclusion
Ouf! Nous avons regardé comment les origines des jeux d’évasion ont orientés leur conception pour ensuite l’identifier comme une forme très accessible de jeu grandeur nature. Nous avons ensuite entrepris de décomposer l’activité en ses trois composantes: défis, espace et mise en scène. N’ayant pas toute la vie devant nous, nous nous sommes limités au premier de cet élément en offrant une certaine catégorisation et des commentaires sur différents aspects importants à considérés. Nous poursuivrons notre analyse en nous penchant ensuite sur la conception de l’espace et de la mise en scène.
J’espère que vous aurez apprécier la lecture de la même manière que j’ai apprécié y formaliser les idées!