À chaque jour, je passais sous son auvent rouge clair . À chaque jour, j’y voyais une file de gens prêts à se régaler de cette fusion inopinée des cuisines japonaises et américaines. À chaque jour, l’odeur caractéristique de la vielle huile de friture tentait de me charmer. Puis, j’ai cédé.
Dès mon entrée, j’étais dérouté par l’imposant menu qui se dressait devant moi. Très exhaustif, c’est à croire que leur chef avait réussi à mettre dans un pain à hot-dog tout ce qui pouvait se manger au Japon. Toutefois, c’est avec un peu de circonspection que j’ai opté pour le numéro 1. Si c’était la tête de file du menu, ce n’était sûrement pas pour rien. Leur chef avait dû conclure que le Kurobuta Mayo était le plat qui représentait le mieux l’âme du restaurant et que j’en aurais la plus honnête des expériences à le choisir. À peine ma commande en take-out terminée, j’étais sorti du restaurant en moins de cinq minutes, même pas le temps d’en apprécier le décors.
Une fois installé chez nous, c’était le temps de passer à l’acte.
Devant une si grosse saucisse, je m’attendais à un genre de plaisir coupable que Kant qualifierait sans doute comme souillure de soi-même par volupté. Mais après le repas, il ne me restait que la souillure. Ma digestion défaillante me faisait regretter cette saucisse trop grasse, noyée d’une mayonnaise sucrée et d’une sauce Teriyaki toutes deux trop généreuses tant elles débordaient par le cul du hot-dog à chaque mordée. Ce cocktail indigeste était coiffé de rognures d’algues et d’un confit d’oignons qui ne goûtaient plus rien, conquis par le reste des saveurs exagérées. Je regardais le dernier bout de mon hot-dog suintant d’une huile brunâtre et j’avais le souffle court, la respiration contrite par l’effort nécessaire à sa consommation. Puis, ignorant tous les signaux de mon corps, je l’avalai. Le hot-dog m’avait coûté presque dix piasses, j’avais pas l’intention de gaspiller.
Après l’expérience, il ne me restait qu’une boule sur l’estomac et une assiette sale.
Quelques jours plus tard, je me demandais combien d’atomes du hot-dog étaient encore en circulation dans mon organisme. Les théories scientifiques les plus modernes affirment qu’il faut en moyenne une dizaine d’années pour que le corps humain ait renouvelé l’entièreté des atomes qui le composent. Dix ans, encore dix ans à attendre pour la certitude d’être libéré de cette tare qu’est le JAPADOG.
L’arrogance naïve de l’homme qui n’avait pas connu JAPADOG.
Un ti-gars de cheu nous! Prêt à prendre d’assaut la côte-ouest!
En temps normaux, si j’apprenais que ma conjointe devait se rendre à Vancouver et y demeurer deux mois pour le travail, je me serais préparé à un douloureux amour à distance. Cela dit, de cette époque qui a révolutionné le travail à distance, j’ai plutôt décidé de l’accompagner. Ainsi, à Vancouver comme au Québec, je pourrai continuer mon habituel Work From Home avec cela de merveilleux que j’en profiterais pour découvrir une ville quasi-mythique. Ô oui, mythique, rien de moins: personne ne reste indifférent aux charmes de Vancouver et dans mon entourage il n’existe que deux types de personnes: celles qui l’ont visité puis adoré et celles qui rêvent de la visiter. Me voilà donc heureux de pouvoir faire connaissance avec cet emblème de la côte-ouest canadienne.
J’ai la chance d’habiter au plein cœur de la péninsule de Vancouver dans le quartier de Yaletown. On ne pourrait être plus au cœur de la ville: le quartier est reconnu pour ses multiples gratte-ciels mélangeant condos, appartements et bureaux d’affaires ainsi que son coût de la vie exorbitant. Notre appartement en témoigne de lui-même: blotti au 23e étage des Telus Garden, cet humble trois et demi ne demande que la modique somme de 800,000$ en échange de sa propriété. Inutile de dire que nous avons la chance de rester dans un quartier duquel nous n’aurions normalement pas les moyens et que notre expérience de Vancouver en sera forcément teintée.
Ses restaurants
Une chose qui m’a frappé dès mes premières journées était l’incroyable quantité de petits restaurants qui parsèment les rues du centre-ville. Toutes les cultures de la ville se rassemblent autour de la bouffe pour offrir une diversité déconcertante à celui qui veut se remplir l’estomac. Puisque pour moi la bouffe est l’aspect le plus important d’un voyage, c’était évident que j’allais essayer un maximum de ces restaurants dont les effluves inondent l’air de la ville.
D’la bonne CROQUE
Et maudit que c’est BON. En tête de file, c’est d’abord la population asiatique qui s’illustre: Chinoise, Vietnamienne, Coréenne, Thaïlandaise et Japonaise, toutes ces cuisines (et plus encore) sont représentées autant par les plus humbles des p’tites shops que les restaurants les plus huppés de la ville. Particulièrement pour la nourriture Japonaise que je connais bien, on retrouve de tout: curry, sushi, donburi, tempura, kaiseki, ramens, karaage et Tonkatsu, tout y est. Je regrette toutefois comment le porc du Tonkatsu m’est apparue de moins bonne qualité que ce qu’on retrouve au Japon et au Québec mais cela ne m’importe que si peu, au fond, puisque c’est tellement bon et réconfortant. Y’a rien qui bat de la bonne Croque – ou même la Croque-molle quand elle se présente en sauce.
Bon, j’insiste un peu trop sur la cuisine Japonaise, on me pardonnera, j’habite dans la même construction que Jinya Ramen et de l’autre côté de la rue il y a Obentoya qui me permettent de rapidement assouvir mes pulsions affamées. Profiter de l’heure de lunch pour se prendre une Bento-box avec de la croque? Yessir.
Je prendrai le temps d’écrire un peu plus sur les nombreux restaurants, les belles découvertes et les amères déceptions – surtout les déceptions parce que c’est toujours plus drôle de toute façon. En plus j’habite à côté de JAPADOG, va bien falloir que j’ose l’essayer éventuellement.
L’identité architecturale
Se promener sur la péninsule de Vancouver nous permet d’apprécier une certaine harmonie dans l’architecture de ses gratte-ciels. Si je compare à d’autres grandes villes telles que Montréal ou Tokyo, Vancouver se distingue par ses bâtisses qui intègrent presque toutes un peu de turquoise et beaucoup de verre. On ajoute à cela le chant des goélands et autres bruits de la mer et Vancouver prend des airs… balnéaires? Cet effet est d’autant plus fort quand on s’attarde à sa ceinture montagneuse et l’omniprésence de l’eau qui nous donne l’impression d’habiter au cœur d’un grand terrain de jeu naturel.
D’un autre côté, cette cohérence architecturale me donne parfois l’impression d’une certaine fausseté, ou d’une ville qui s’est développée que trop récemment. L’éclectisme de Tokyo, par exemple, contribue à faire de chacun de ses arrondissements quelque chose d’unique.
Je trouve donc la ville belle et même ludique ce qui la rend particulièrement agréable à découvrir. Cela dit, difficile pour moi de ne pas vivre un certain malaise quand je marche sur les trottoirs immaculés du Pacific Boulevard quand il se joue à quelques centaines de mètres de là un véritable…
…Drame humain
C’est en marchant vers l’est du quartier de Gastown que Vancouver dévoile son côté sombre. Désormais tristement célèbre, la rue d’East Hastings est reconnue pour sa très forte concentration de misère humaine. Et il suffit de la croiser ne serait-ce qu’une ou deux fois pour comprendre: la rue a de quoi choqué même le plus enhardi des citadins. On y voit par dizaines des gens assis, couchés ou repliés sur eux-mêmes, certains déambulent lentement, la posture avachie. Leurs traits sont tirés, fatigués et souffrant. Ils se soulagent en s’injectant leur fix ou même en se passant la pipe à crack. La consommation de drogues se fait ici à ciel ouvert et l’on s’y habitue tellement qu’elle en devient banale. L’ambiance y est glauque puisque même la mort y règne, littéralement: j’ai même vu des ambulanciers embarquer sans urgence le corps inerte d’une autre victime anonyme de cette crise d’opioïdes. Crise pour laquelle la pandémie n’a évidemment rien fait pour en alléger les supplices. J’y repense et j’en ai encore l’estomac noué. Impuissants face à de telles circonstances, on finit par éviter le quartier pour s’en épargner.
Cette réalité est d’autant plus choquante par son contraste avec le reste de la péninsule qui suinte de richesse spéculative et de condos hors de prix. Si ce jeu de contrastes existe dans presque toutes les métropoles, c’est bien à Vancouver qu’il prend des proportions sombrement exagérées.
Privilège
Après un peu plus d’un mois de vie sur la côte-ouest, je ne peux que m’estimer chanceux et privilégié de vivre une telle expérience. C’était la première fois que je prenais l’avion depuis la pandémie et je compte bien profiter de ce changement d’air pour conclure l’année 2021 sur une note innoubliable. Vancouver est une ville active et d’une grande beauté qui semble néanmoins indifférente à sa misère.